Kommer Kleijn sur Le Huitième Continent, film interactif 3D pour le Futuroscope Poitiers par Alterface

Kommer Kleijn, sur les hautes cadences d'images

Dans cette deuxième partie de notre interview avec Kommer Kleijn SBC, qui a récemment reçu le prix de membre d'honneur IMAGO, on vas approfondir un peut plus sur sa recherche à propos des cadences d'images en cinéma (HFR). Si vous n'avez pas encore eu l'occasion de lire la première partie de notre interview, cliquez sur le lien coloré ci dessous pour y accéder.

Dans la première partie de l’interview tu parles des défauts du 24 i/s auxquels les spectateurs sont attachés. Peux-tu les lister ?

KK: Le défaut le plus important du 24 c'est tout simplement que l'image est rendue “floue” ou plutôt que la définition spatiale est limitée, dès qu’il y a du mouvement, et qu'on ne peut pas la rendre plus nette sans créer d'effet stroboscopique, à moins d’augmenter la cadence. Ce n'est pas un détail. C'est une catastrophe totale qui empêche la qualité d’image de progresser ! Une caméra 4K pour moi n'a aucun sens à 24 i/s. Ca permet de dire qu'on tourne avec le dernier cri, mais ça ne change que peu de choses en réalité. Les images cinéma sont rarement au-delà de 1K voire 1K et demi à 24i/s. En effet les images ne peuvent pas aller au delà de cette définition, car sinon des effets de strobe apparaissent, même en respectant les 7 secondes. Le 24 est tellement éloigné de la vision humaine, et le risque de strobe en projection à 24i/s est tellement grand, que cela nous oblige en fait à rendre toutes les images légèrement floues dés qu’il y a le moindre mouvement. En effet depuis 100 ans pour limiter les effets stroboscopiques et de saccade, on réduit la définition spatiale, en créant du flou de bougé en exposant longuement chaque image. Bien plus longuement que pour n’importe quel photographie fixe. C’est une invention très simple et géniale quelque part : en exposant 1/48ème de seconde, dès que quoi que se soit bouge cela diminue la résolution à cet endroit, et plus l'objet ou la caméra bouge, plus il y aura de flou. Pratique : cela évite 90% des problèmes de strobe, mais limite en passant aussi la vrai résolution de l’image. En effet, a contrario, si on diminue le temps d'exposition pour augmenter la netteté, alors cela strobe de façon inacceptable, ou alors il faut que le comédien et la caméra restent parfaitement fixes, ce qui n'a évidemment pas beaucoup de sens en cinéma. C'est la raison pour laquelle tester une caméra sur une mire fixe n’est pas réellement significatif, car cela ne mesure pas la résolution dans les conditions réelles de tournage, à savoir un comédien et une caméra en mouvement.

Les défauts auxquels les spectateurs se sont attachés sont donc que l’image devient basse résolution dès qu’il y a du mouvement plus les résidus de strobe. Le spectateur les lie avec l’expérience cinéma car la télé est dépourvu de ces défauts. En effet, la télévision a été doté d’une résolution temporelle de 50 dès sa création (60 en Amérique et au Japon).

Que réponds-tu au débat philosophique, qui oppose à cela que le propre de l'art n'est pas d'être hyperréaliste ou que la qualité technique n'est pas la finalité de l'art ?

KK: Je pense que c'est un faux débat ! Qui peut le plus, peut le moins. Je n'empêche personne de faire ce qu'il aime. Si des gens préfèrent le 24i/s qu'ils fassent du 24. C’est un style et cela convient parfaitement à certaines histoires. Moi je propose que l'on permette les fréquences plus hautes, mais je n'ai jamais demandé que l'on interdise les fréquences basses. De la même manière si on a envie de faire son film en Super8, bien qu'il y ait des projecteurs 35mm dans les salles, je n'ai rien à redire à cela. Par contre, ce qui me pose problème c'est si on empêche aux autres de filmer/projeter en 35mm, car on trouve que le Super8 invite plus au rêve que le 35mm de part ses défauts.

Le débat resurgit à chaque innovation technique. Par exemple lorsqu'on a proposé de faire des pellicules couleur, les chef opérateurs du noir et blanc y étaient opposés, car ça allait forcément changer leur façon d'éclairer. Et leur fabuleux savoir-faire créatif d’enrichir les images noir et blanc avec des structures lumineuses qui compensaient en bonne partie l’absence des couleurs, n’allait forcément plus être apprécié de la même façon. Pourtant la couleur n'était pas seulement une innovation technique, elle est intéressante car elle permet de raconter plus de choses, du moment qu'elle est utilisée comme un outil de récit. Mais cela demande de changer de façon de travailler. 

L'humain semble parfois programmé pour résister au changement. Quelque soit les évolutions proposées : le son, la couleur, le numérique, la 3D, la cadence élevée, la vraie HDR, il y a toujours eu d’abord des résistances. Les chef opérateurs, mais même au-delà : les réalisateurs, les comédiens, les producteurs, c'est toute l'industrie qui résiste, car tout changement substantiel implique de remettre en question les habitudes et leur connaissances.

Il faut parfois retourner sur les bancs de l'école. C'est très déstabilisant au début. Alors on invente des débats, mais c'est de la carabistouille ! Non seulement on a peur de ne pas savoir gérer la nouvelle technologie, mais qui plus est : il faut aussi la mettre en oeuvre pour qu’elle ait un sens. Il faut pour cela créer un nouveau langage qui n'est pas dans les livres... Et ça, ce n'est pas donné à tout le monde. En réalité ce que je propose, ce n'est pas le perfectionnement technique d'un support déjà existant, mais bien de rajouter des outils de communication, ce qui créé en fait un nouveau support, un nouveau médium. S'il est bien mis en oeuvre, il sera plus puissant que le précédent, mais forcément, il se travaillera aussi différemment.

Above Us All. Dir : Eugénie Jansen, DP : Adri Schrover NSC
Above Us All Dir : Eugénie Jansen, DP : Adri Schrover NSC

Qu'apporte les hautes fréquences d'image ?

KK: Cela permet de réellement faire progresser la qualité de l’image au cinéma. Je parle de la netteté de l’image, et non pas seulement de la qualité du mouvement. Cette dernière s’améliore aussi, mais c’est secondaire. Mais cela change tout ! Le réalisateur d'un film comme le comédien savent très bien aujourd'hui que quand celui-ci bouge, ne serait-ce que quand il parle, sa tête n'est pas hyper définie, donc l'un comme l'autre ont intégré dans le langage qu'il est moins nécessaire de jouer ou diriger pendant les mouvements de manière précise. Changer la définition spatiale de l'image pendant le mouvement augmente considérablement ce que l'on peut raconter dans une même minute. Les réalisateurs qui s'approprient cela s'ouvrent à des possibilités infinies d'expression. Ne serait-ce que dans les films d'action, mais pas uniquement. Le problème c'est qu’il faut aussi proposer un nouveau contenu devant la caméra. Et il doit être valable, enrichir le récit, apporter de la beauté et des émotions. Cela ne viendra pas tout seul. Si avec les nouvelles caméras hautes fréquences, on filme comme avant, cela n’as aucun ’intérêt. C’est comme prendre un caméra nouvellement couleur et ensuite filmer des décors, des costumes et du maquillage en nuances de gris ou avec des couleurs désagréables (comme on faisait du temps du noir et blanc), et puis de se plaindre que la pellicule couleur, c’est moche. Une nouvelle caméra demande un nouveau travail au niveau du sujet aussi. Et c’est là qu'arrive l’incompréhension et la résistance…

La netteté dans le mouvement est selon moi le plus important avantage, mais ce n'est pas le seul avantage des hautes fréquences. Elles permettent aussi des nouveaux mouvements de caméra traditionnellement interdits par le strobe. Ouf dis ! Car c'était un vrai casse-tête cette affaire-là ! (Rires) En 24 i/s le flou de bougé créé par l’exposition longue élimine la majorité du strobe mais pas tout. Il y a encore une gamme de mouvements caméra interdits en cinéma 24, que l’on connaît bien tous. En cadences élevés ces limites disparaissent aussi. Plus de liberté de mouvement, sans risque de strobe. Des nouvelles créations en mouvement deviennent possible et valable. Un autre détail peut connu est le fait que jusqu'à présent quand on filme un comédien en gros plan, on devait rendre le fond flou et on disait que c'était un choix artistique, mais en fait c'est une obligation technique, car c'est nécessaire pour éviter le strobe.

Pourtant en fermant le diaphragme, on arrive bien à augmenter la profondeur de champ ?

KK: Oui, mais en réalité, le plan va finir à la poubelle, car il sera irregardable. Si tu filmes un comédien en gros plan, qu'il bouge, que la caméra bouge pour le suivre, et que tu fermes ton diaphragme afin d'avoir l'avant et l'arrière-plan net, le fond va strober à mort au point de perturber la lecture du comédien à l'avant-plan ! Bon bien sûr si le décor est un mur blanc lisse ça va, mais dès qu'il y a des détails, le plan devient impossible à regarder. La seule façon de s'en sortir c'est de rendre le fond flou. Ce qui fait que ce n'est plus un choix artistique, mais une obligation technique. En cadence plus élevée, flouter le fond reste possible mais devient un vrai choix artistique. Dans Above Us All tout est toujours net : l'avant et l'arrière-plan. On ne guide pas le regard du spectateur sur le comédien, on le laisse choisir ce qu'il veut regarder. En plus on est en 3D, donc on lui donne des informations de profondeur. Mais en vrai on n'a pas toujours besoin de guider le regard, si le spectateur regarde le fond, c'est qu'il y a peut-être un problème dans le film et qu'il faut peut-être revoir notre copie…

Enfin, pour revenir à ta question initiale sur qu'apporte les hautes fréquences, on pourrait penser que doubler la cadence d’image permet seulement de diviser le temps d’exposition par deux et de donc de doubler la définition pendant le mouvement. Mais c’est en fait beaucoup mieux : une fois à 50i/s, on peut réduire le temps d’exposition à volonté, sans risque de strobe gênant : un nouveau paramètre artistique apparaît : le temps d’exposition. Un paramètre bien connu chez les photographes, et enlevé aux chefs opérateurs pendant un siècle pour cause de cadence d’images insuffisante … 

J'ai fait mon mémoire sur l'utilisation des vieilles optiques depuis l'avènement du numérique et j'ai la sensation que beaucoup de chef opérateurs trouvent déjà l'image numérique 4K trop piquée, pas assez ronde, par rapport à l'argentique, et que c'est la raison pour laquelle ils utilisent ces optiques. Qu'en penses-tu ?

KK: Oui, le 4K peut au fait être contreproductif dans certains cas, car si le plan est fixe et que le comédien à l'avant plan bouge, le décor va devenir plus net que le comédien, ce qui n'a bien entendu aucun intérêt du point de vue du récit. Et c'est à mon sens peut-être la raison pour laquelle on aime utiliser des vieilles optiques et des filtres, car à 24 i/s le 4K n’améliore que la netteté de ce qui ne bouge pas (décors) et non pas de ce qui bouge (comédiens). Le chef-op soucieux de raconter une histoire accuse alors à juste titre l’image d'être trop nette (décors) et de détourner l’attention des comédiens (atteints du flou de bougé). Rendre toute l’image flou avec des filtres soulage alors ce problème. C’est donc quelque part parfaitement compréhensible et justifié. On pourrait se demander par contre si c’est alors encore bien utile de prendre une caméra 4K. Moi je propose une solution ou toute l’image devient nette, décors ét comédiens. Comme ça les comédiens resteront nos sujets principaux, même en 4K.  

Pourtant il y a eu bien des débats sur la définition de la peau qui fait apparaître les défauts des comédiens depuis qu'on est passé à la haute définition.

KK: Il est vrai qu'à chaque innovation technique, on ne peut plus tout faire comme avant. Avec la haute fréquence d'images et la vraie définition qu'elle apporte, on ne peut plus filmer dans des décors mal foutus ou à peu près ou engager des comédiennes de 40 ans pour jouer des rôles de filles de 20 ans. Forcément il y a des conséquences, mais ce n'est pas pour ça que l'image est moche. Elle devient bien plus précise, mais du coup, il faut aussi présenter plus de contenu valable devant cette caméra.

Y a-t-il des défauts à l'augmentation de la cadence d'image ?

KK: Le seul vrai défaut qu'on pourrait lui reprocher c'est ce fameux “Love of artefacts”. C'est à dire le fait qu'elle ne présente plus certains défauts d'avant auxquels on étaient habitués. Et le besoin d’adaptation pour les cinéastes. Mais les deux seront passager. On pourrait aussi lui reprocher de produire un peu plus de données. En réalité, cela est vrai et pas vrai, car si on y réfléchit le 4K, et à fortiori le 8K n'apporte pas grand chose en termes de définition en ce moment, donc on peut aussi utiliser les cadences plus élevées en revenant à une résolution plus petite afin de limiter les data. Ainsi si on tourne en 2K à 50i/s on multiplie la quantité de données par deux, alors que si on tourne en 4K à 24i/s celle-ci sera multipliée par quatre et c’est visuellement moins nette. Donc si on a peur que cela coûte plus cher selon moi, il suffit d'abandonner temporairement le 4K. Mais bon il y a des gens qui n'ont pas peur des données : Ang Lee a tourné Billy Lynn's Halftime Walk à 120i/s et en 4K et en 3D, ce qui fait 240 images 4K à enregistrer par seconde, ce qui n'est pas rien. Et ensuite il a réduit tout à 24 i/s pour la distribution. Cela montre qu’il n’as pas réellement utilisé les nouvelles possibilités dans le récit. En plus Peter Jackson et Ang Lee ont tous les deux fait l’erreur de recréer ensuite le même flou de bougé que celui du 24 i/s. Voila pourquoi leurs films HFR ne présentent pas d’amélioration significative...

Il me semble que Hobbit à été tourné à 48 i/s. Toi tu ne parles que de 50 et 60. Il y a une raison ? 

KK: Les bénéfices visuels des cadences élevées sont en principe déjà parfaitement possibles à 48. Visuellement il n’y a quasi pas de différence entre 48, 50 ou 60. En revanche le 48 fonctionne sur un projecteur de cinéma numérique, mais ne marche pas sur DVD, ni en Blu-Ray en pas non plus en transmission TV. Du coup les versions « home entertainment » de Hobbit sont en 24i/s. Le 48 à été vendu comme ‘facile à réduire en 24’, mais on sait maintenant que si l’on utilise réellement les avantages du HFR, alors des versions 24 ne sont plus possibles. Le seul avantage prétendu du 48 est donc tombé. Le 50 et 60, par contre, passent au cinéma, en DVD, en Blu-Ray et à la TV...

D'après ce que j'ai compris les hautes fréquences sont déjà possibles et dans les caméras et dans les projecteurs, et même à la maison, que faudrait-il encore changer, mis à part les mentalités ?

KK: Rien techniquement ! Depuis peut, c'est-à-dire depuis un an ou deux, tout est prêt. En effet, il a fallu cinq ans de militantisme international pour que les hautes fréquences soient intégrées dans le standard officiel du DCP et ensuite, il a fallu le même temps pour que cela soit pratiquement implanté dans tous les appareils de mastering et de projection. Puis, il a fallu attendre que les projecteurs 35mm disparaissent, puisque les projecteurs 35mm sont limités à 24 ou 25. Mais depuis peu ces trois conditions sont réunies. Ce qu’il faut encore maintenant, c’est que des cinéastes s’y collent réellement, qu'ils soient prêts à se lancer dans des nouvelles découvertes et expériences fortes, aussi fortes que l’introduction de la couleur.

Sur le plateau de Lord of the Dance 3D de Michael Flatley. Réal : Marcus Viner
Sur le plateau de Lord of the Dance 3D de Michael Flatley. Réal : Marcus Viner

Des infos sur Kommer Kleijn aussi sur http://www.kommer.com

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